Eugène Mona est considéré come le chantre de la culture et de l’identité martiniquaise.
Etalée sur environ vingt-cinq ans, de la fin des années 1960 à 1991, sa carrière s’est brutalement arrêtée, le 21 septembre 1991, date de son décès, à seulement 48 ans, juste après avoir enregistré un neuvième album qui devait marquer son grand retour .
Voyons en quelques points, les grandes caractéristiques de cet artiste hors du commun.
Originaire du sud, il s'est révélé dans le nord de la Martinique
Né le 13 juillet 1943 au Vauclin, dans le sud-est de la Martinique, c’est lors de son apprentissage en tant qu’ébéniste qu’Eugène Mona s’installe dans la commune du Marigot, dans le nord-Atlantique, qui devient son fief. A noter que la ville de Sainte-Marie, pas très loin est considérée comme le berceau du bèlè.
Eugène Mona était le nom qu'il s'était choisi
Tout comme Malcom X, Eugène Mona considérait qu’on lui avait imposé un nom qui n’était pas le sien, dans son cas, Georges Nilecam, son patronyme de naissance.
Pendant sa formation d’ébéniste, Georges Nilecam fréquenta une femme dont les enfants étaient ceux d’un certain monsieur Mona du quartier Plate-Forme au Marigot.
Dans la commune, cette aventure se sut et des amis pour l’embêter l’appelaient Mona. Loin de s’en offusquer ou d’en avoir honte, il mit ce nom à profit pour la postérité.
Bientôt, on laissa tomber « Eugène » pour ne l’appeler que « Mona ».
Personnage entier
Eugène Mona parlait fort, riait fort et se mettait en colère fort. Il ne connaissait pas la demi mesure. A fleur de peau, il pouvait passer en un laps de temps d’un sentiment à l’autre. Exigeant avec les autres, il était surtout exigeant avec lui-même.
Cela l’a perdu puisqu’il est décédé d’une congestion cérébrale, suite à une dispute de voisinage.
Siano...le surnom de sa compagne
Martiane Bizet l’a connu chez leurs employeurs communs, elle, femme de maison et lui , charpentier-ébéniste. C’est la mère de Max Mona, son fils, digne héritier, artiste comme lui. Sur Siano, Mona lui ouvre son cœur.
Chantre de la culture martiniquaise
Initié à la musique par son père, accordéoniste, Mona se fait remarquer en 1968, en remportant un concours de chanson créole, à 15 ans.
Déterminé, il s’est fait tout seul
En tant que musicien professionnel vivant principalement de son art, des spectacles et de la vente de ses disques, Mona est allé bien au-delà d’un usage conventionnel des rythmes et genres musicaux traditionnels.
Il puisait dans les musiques de la Martinique profonde, tout en enfreignant ses codes, dans une liberté créatrice totale, tant instrumentale que musicale.
Sa musique c’était, l’ancrage dans le patrimoine martiniquais, bèlè, haute-taille, biguine, mazurka, valse créole, mais avec une ouverture sur le jazz, le blues, la musique classique.
Très conscient et affirmé, il avait comme ambition bien avant tout le monde, de toucher l’universel, en partant du singulier.
Dans cette optique, il s’inscrivait directement dans le concept de la Négritude, puis de l’Antillanité et de la Créolité. Par ailleurs, tous ces intellectuels que sont Aimé Césaire, Edouard Glissant, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant se sont toujours reconnus en lui et en ont fait son éloge. De tous, Aimé Césaire est celui qui l’a le plus aidé, notamment en le produisant régulièrement au festival du SERMAC (Service Municipal d’Actions Culturelles), à l’époque l’un des plus grands festivals de la Caraïbe.
Artiste pas toujours compris de son époque, c’était un avant-guardiste, un visionnaire, dont les morceaux sont restés d’actualité et n’ont pas subi l’usure du temps.
« A quinze ans je ne savais ni lire ni écrire. A vingt-cinq, je pouvais écrire et déchiffrer une partition »
Eugène Mona (Interview Megamix_1990)
"Je suis un enfant du Marigot qui veut toucher à l’universel… C’est possible, non ?"
Eugène Mona
L'homme à la flûte en bambou
Eugène Mona a découvert la flûte en bambou dès l’âge de 7 ans. Mais c’est le flûtiste Martiniquais, Max Cilla, le père de « la flûte des Mornes »(nom de la flûte en bambou à 6 trous), le créateur de la codification de la façon de jouer cet instrument, qui va lui dévoiler son potentiel et l’inciter à développer sa technique. C’est donc auprès de Max Cilla que Mona va approfondir son art.
L'unification des tambours au coeur de son oeuvre
Il écrivait des hymnes dédiés au tambour, force vibratoire qui agit sur le corps et l’esprit.
Grand unificateur, il mélangeait dans sa musique, tous les tambours traditionnels, chose impensable à l’époque, soit :
• Le tanbou dibas, tambour circulaire sur cadre, utilisé dans la haute-taille, un type de quadrille martiniquais, pour les lignes mélodiques;
• Le Tanbou bèlè, tambour conique à une peau, pour les séquences rythmiques;
• Les tambours tapou, musiques rituelles tamoules, des Martiniquais d’origine indienne, en l’honneur de la déesse Maldévilin, établissent la communication avec le monde spirituel;
Le tout accompagné par le Ti bwa et le Cha-cha.
Une voix puissante travaillée en autodidacte
Dans un autre monde, s’il avait eu une éducation musicale, Eugène Mona aurait pu être un chanteur d’opéra. Sa voix de baryton ultra puissante lui permettait des modulations au gré de ses envies, tantôt envolée lyrique, lamento blues, scat endiablé, chant liturgique…
Autodidacte acharné, il travaillait beaucoup sa voix.
Eugène Mona, le "Nègre Debout", le "Punk" martiniquais
Insoumis, subversif, à contre-courant de la bien-pensance, de la bourgeoisie martiniquaise et de la société de consommation dans une Martinique des années 70 en pleine mutation, celui que l’on surnommait « Le nègre debout » se sera dressé toute sa vie contre le colonialisme et l’injustice sociale. Il encourageait les martiniquais à se recentrer sur eux-mêmes, à ne pas rejeter leur histoire, non seulement leur africanité, mais aussi tous les aspects de leur identité créole. Il a aussi redonné ses lettres de noblesse au tambour bèlè et à la flûte en bambou, plus largement aux musiques traditionnelles.
Certains le pensent fou, lui il ne dit pas le contraire, il le chante même. Dans la chanson « Tant pis pour moi »: moi après tout je ressemble à un fou…
"L'Homme aux pieds nus"
Eugène Mona préférait marcher sans chaussure pour rester connecté aux éléments, pour mieux ressentir l’énergie, les vibrations positives du sol. Sur scène, les pieds bien ancrés, il était maître de son corps et de son esprit.
Ce qu’il explique dans son tube : Energie, Vibration, Positive
"L'Homme de scène charismatique"
Généreux sur scène, Mona se donnait entièrement. Il courait, sautait, transpirait, incarnait chacune de ses chansons. Il y avait un magnétisme puissant qui se dégageait de sa personne et hypnotisait son auditoire. Ses concerts aboutissaient souvent à une transe musicale et scénique hors du commun, dans lequel l’artiste et son public ne faisait qu’un.
De carrure puissante, Mona en imposait physiquement. Il appréhendait chaque concert comme une compétition sportive et se préparait physiquement pour cela : arrivée quotidienne au stade vers 5h du matin, pour quelques tours de piste, puis travail de la voix avec des vocalises poussées dans les vestiaires pendant 4-5 heures de temps.
"L'Homme de la Nature"
Eugène Mona trouvait sa force et son équilibre dans la Nature : forêt, rivière, mer, campagne…
C’est là qu’il trouvait l’inspiration, sa force créatrice
Il appréciait particulièrement les éléments déchainés (pluie, vent, houles marines) qui le requinquait et avec lesquels il entrait en communion.
"L'Homme Mystique"
Eugène Mona a toujours été en quête spirituelle et ce, à travers diverses voies.
Il croyait en la divinité de la nature (Panthéisme-Animisme) : Dieu était dans tous les éléments de la Nature et chacun des hommes abritait en lui une part divine.
Fervent Catholique, il se réfugiait souvent dans la montagne pour prier et chanter l’Eternel, allant jusqu’à faire des retraites de plus de 15jours, accompagné de jeûne et de silence.
Il a été aussi marqué par les Bondié-couli, les cérémonies hindoues des martiniquais d’origine indienne, arrivés vers 1853 aux Antilles.
Aux débuts années 80, il s’était également rapproché de la philosophie rastafarienne.
La théologie, la philosophie l’intéressait et il lisait et s’instruisait beaucoup sur le sujet.
Ses chansons sont ponctuées de mantra, de bribes de proverbes de toutes sortes, de métaphores.
Il incluait dans sa musique traditionnelle martiniquaise des versions personnelles de Negro spirituals qui se mariaient en toute harmonie.
Artiste mal compris
Bien qu’ayant eu le soutien du peuple et avoir été le fer de lance d’une nouvelle génération d’artistes plus engagés et ancrés dans la culture martiniquaise (Alfred Varasse et Difé, Joby Bernabé etc), aux débuts des années 80, à l’ère du zouk, Mona s’est senti rejeté.
D’abord par les siens, ceux-là même qui l’encensaient auparavant et surtout par les institutions culturelles, auprès desquels il n’a eu cesse de chercher une aide.
Après un album auto-produit passé à la trappe (album très axé sur le rastafarisme, alors méprisé des martiniquais), il décide de se retirer de la scène.
Son grand retour des années plus tard sera de courte durée, puisque la mort le fauchera juste après la finalisation d’un 9e album.
Comme il l’avait souvent prédit, sa carrière post-mortem sera plus fructueuse que celle de son vivant.
"Bwa Brilé" et "Fas a Fas", les deux chansons qui résument sa vie
Discographie
Distinctions
1975 : Disque d’argent Martinique ,
1976 : Festival carifesta en Jamaïque,
1978 : Festival mondial de la jeunesse à Cuba,
1979 : Tournée inter-Amérique,
1980 : Grand prix maracas d’or à Paris,
1982 : Grand concert à la Mutualité à Paris,
1990 : Prix SACEM…
PLUS D'INFOS
L’excellent documentaire de la réalisatrice martiniquaise Nathalie Glaudon en 2009
Le très intéressant travail d’archives de Brut34 sur l’artiste et sa musique :