Héritage africain
Héritée des ancêtres Africains esclavagisés en Guadeloupe, le bouladjel est une technique de chant qui permet de remplacer les percussions. Cette pratique aurait émergé pour pallier l’interdiction faite aux esclaves de jouer du tambour.
Fortement relayée par l’église catholique, cette interdiction, a fait qu’au fil du temps, le bouladjel est devenu la musique privilégiée des veillées mortuaires, dans une société où la place des défunts est importante.
Uniquement en Grande-Terre et Basse-Terre
Le bouladjel est spécifique à la Guadeloupe dite « continentale », à savoir Grande-Terre et Basse-Terre.
Les changements profonds qui ont affecté la société guadeloupéenne depuis le milieu du XXe siècle ont contribué au déclin de cette tradition sur la Basse-Terre et à un recul de la pratique sur la Grande-Terre, même si c’est en Grande-Terre que sa pratique est demeurée la plus vivace, dans la région dite des Grands-Fonds (Abymes, Sainte-Anne, Gosier, Moule).
Des veillées mortuaires aux scènes musicales
Si originellement le bouladjel a été créé dans les veillées mortuaires, avec l’évolution de la société, on peut aujourd’hui également entendre du bouladjel hors de ce cadre, sur scène ou pendant un échange musical impromptu, de jour comme de nuit, dans des contextes divers.
Utilisation dans les chants de travail, les jeux, luttes
Sur la Grande-Terre la musique du bouladjel accompagnait déjà les chants, les jeux (zizipan, pilé kako) et les luttes (bènadèn, sové vayan) qu’on pratiquait traditionnellement dans les veillées mortuaires.
• Les enfants s’amusaient parfois à en créer ensemble.
• Les adultes recourraient à cette technique vocale pour accompagner le chant traditionnel dans des contextes variés qui allaient du travail aux petits moments de détente entre amis.
• Enfin, la pratique pouvait se faire individuelle avec le fredonnement en vaquant à ses occupations quotidiennes.
Bien sûr l’utilisation du bouladjel excluait le recours à d’autres instruments de musique.
Polyrythmies vocales percussives
Le bouladjel consiste en une superposition polyrythmique de vocalisations percussives (bruits de gorge sur onomatopées et halètements) et de battements de mains réalisée par des hommes pour accompagner certains chants traditionnels, notamment ceux des veillées mortuaires.
Pratique exclusivement masculine
Si la pratique traditionnelle est exclusivement masculine, aujourd’hui quelques femmes s’essaient à cette pratique.
Le nombre de participants à un bouladjel varie de trois à une dizaine ou plus, selon les circonstances.
Parmi les boulariens, les pratiquants du bouladjel, il existe souvent un commandeur », qui signale le début du bouladjel. Une fois que le chant responsorial accompagné de battements de mains est stabilisé, le commandeur appelle les boulariens à commencer leur partie en utilisant une formule parlée traditionnelle, qu’il personnalise.
Rythmes répétitifs et de transe
Chaque boularien répète invariablement une cellule rythmique ou un court fragment mélo-rythmique.
Les répétitions rythmiques (ostinati ) sont créés par l’énonciation d’onomatopées percussives qui favorisent les expirations sonores prolongées , les sons aspirés et les hoquets.
Un bouladjel réussi résulte de la superposition d’au moins deux ou trois ostinati rythmiques différents.
Au cours du chant, il arrive qu’un boularien déclame de temps à autre des petites moqueries et des satires sur un mode de parole rythmée proche du rap.
Ces interventions très appréciées par l’auditoire, provoquent le rire et permettent ainsi au chant de veillée de remplir sa fonction principale, qui est d’aider les personnes endeuillées à oublier leur chagrin.
Variations dans les techniques
Les techniques de chants des boulariens peuvent différer.
Certains portent les mains jointes à hauteur de la bouche et font glisser leurs paumes l’une contre l’autre en un mouvement de va-et-vient vertical.
D’autres préfèrent les refermer autour de la bouche et du nez. La cavité formée par les paumes face-à-face sert alors de résonnateur.
Bouladjel ou Banjogita
Autrefois appelé indistinctement « banjogita », on peut toutefois distinguer deux types :
• le bouladjel proprement dit qui permet de remplacer les percussions (tambour « boula »),
• Le banjogita, qui lui permet comme son nom l’indique de jouer les sons de banjo et de guitare.
Une transmission de familles en voisins
La pratique du bouladjel était autrefois reléguée au milieu des travailleurs agricoles. Elle a été transmise au sein des familles, entre proches voisins et/ou membres de communautés très soudées.
Aujourd’hui le bouladjel continue à être pratiqué et transmis par des personnes issues de ces familles et communautés. Elles appartiennent majoritairement aux classes populaires et moyennes de la société guadeloupéenne, qui habitent indifféremment la ville ou la campagne.
Evolution musicale du bouladjel
Bien que l’utilisation du bouladjel excluait le recours à d’autres instruments de musique, certains musiciens et artistes guadeloupéens sont de plus en plus nombreux à tenter de nouvelles expériences autour du bouladjel en le mariant à d’autres instruments de musique, telle la basse électrique ou même le tambour ka.
D’autres explorations musicales ont amené certains à remplacer les séquences rythmiques binaires du bouladjel traditionnel par des rythmes ternaires.
Dans les années 2000, le bouladjel enregistré est souvent stylisé et sert de sous-bassement polyrythmique à des mélodies où l’influence du jazz et des musiques actuelles se ressent fortement.
Valorisation et recherche sur le bouladjel
Depuis quelques années, le bouladjel fait l’objet de recherches et de valorisation par des acteurs socio-culturels.
Au début des années 2000, le musicien Lukuber Séjor a débuté un travail de recensement des onomatopées les plus courantes dans le bouladjel, ce qui lui a permis d’en inclure dans son spectacle intitulé « Katéchis a ka« .
Le festival de Gwoka de Sainte-Anne poursuit un travail de valorisation et de sauvegarde du bouladjel, en lui ouvrant dans sa programmation, un espace d’expression sur scène et en mettant en place des ateliers ponctuels, destinés aux enfants.
Le groupe Kan’nida Nou ka travay, créé autour de la famille Geoffroy de Sainte-Anne fait un travail de préservation et de vulgarisation autour des veillées mortuaires et du bouladjel.
Ils proposent chaque année un spectacle représentant les veillées mortuaires d’avant 1960, intitulé_La Véyé O swè la_dans lequel le bouladjel a la part belle.
Cette veillée est également un mémorial en souvenir des piliers de la famille, membres de Kan’nida, décédés, Sergius et Hilaire Geoffroy.
PLUS D'INFOS
- Page wikipedia du bouladjel
- Page Facebook de Repriz, le centre régional des musiques et danses traditionnelles et populaires de Guadeloupe